Autoévaluation : trop et pas assez
Nous ne sommes pas nos évaluations et il est possible d’apprendre à s’en libérer. Nous autoévaluer, nous comparer aux autres est aussi utile que destructeur. Je suis assez ! Et je ne suis pas seule. « Quand on se compare, on se console ! »
Avez-vous remarqué à quel point notre capacité d’évaluation se manifeste à chaque instant ?
Dans tous les cas, elle nous éloigne de « ce qui est » au profit de « ce qui devrait être ».
Elle nous confronte aux normes sociales et à nos idéaux, toujours (ou presque) en décalage avec l’expérience qui se présente à notre interprétation.
Moteur dans certaines situations, ce jugement de « trop et pas assez » est un frein lorsque « ce qui aurait dû être » génère le regret, « ce qui devra être » induit l’anxiété.
La méditation pour observer l’acte d’évaluation
Lorsque j’observe ma pensée, en méditation, je constate qu’elle cherche à combler l’écart entre « ce qui est » et « ce qui devrait être ». Son contenu s’articule pour atteindre une cible.
J’imagine, puis m’attache à cette cible pour combler un désire.
J’adhère à une norme sociale cible pour être inclus.
Ce ne sont ici que deux exemples.
Dans bien des cas, cela se résume au fait que je suis trop ou pas assez.
Le moment qui m’a fait sourire est celui où je me suis rendu compte que j’évaluais ma méditation.
Moment de douce ironie.
Dans ces moments de douce ironie, je souris… et je me remercie.
Je continue à observer le témoin qui observe.
En cours de méditation, il m’arrive d’attraper l’instant juste avant l’évaluation.
Il m’arrive d’attraper l’instant juste après.
Je reviens à mon objet d’attention, là, maintenant.
J’observe la fluctuation du flot et accepte progressivement « ce qui est », l’évaluation en fait partie.
J’observe la fluctuation du flot et découvre « ce qui devrait être », je l’accepte et m’en détache, au moins temporairement.
Vivre l’instant juste : sans trop ni pas assez.
Instant vite anéanti par la naissance du désire de prolonger l’expérience, désire qui renvoie à l’évaluation.
Recommencer !
L’évaluation, un dogme incontesté
Je ne sais pas dire où et quand ça a commencé.
Je constate simplement que, pour ce que je connais, l’évaluation est partout, incontestée, parce qu’invisible.
Notre société nous l’enseigne, nous façonne, l’entretient et nous le rappelle en permanence.
Nous l’avons intégré comme une normalité, un automatisme gravé en nous.
En tant que père, combien de fois me suis-je attrapé à comparer mes enfants aux autres et à mes propres attentes ? Pour être honnête, c’est tellement automatique que je le fais encore.
Puisque nous sommes avec les enfants, parlons de l’école qui, par ce mécanisme, tue progressivement la créativité au profit de la norme et même des jeux de pouvoirs économiques[1]. Évaluer avec des couleurs au lieu d’une note ne change rien et contribue à l’enfumage.
« Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera toute sa vie à croire qu’il est stupide ».
Cette citation semble faussement attribuée à Albert Einstein [2]
Une fois sortis de l’école, nous entrons dans le monde professionnel ou chacun y va de son échelle d’évaluation, avant même l’embauche. Évaluation souvent limitée à un nombre restreint de critères standardisés aux origines gardées secrètes.
Dans notre vie quotidienne, la publicité omniprésente nous rappelle sans cesse que nous ne sommes pas assez ceci ou trop cela.
Je ne sais pas, dans un tel environnement, échapper à ce phénomène. J’ai confiance de pouvoir m’entrainer à en prendre conscience, à l’observer, pour au moins briser l’automatisme.
L’utilité de l’évaluation
L’évaluation peut être très utile.
Se comparer peut être un moteur positif pour la motivation, le dépassement de soi.
Me sentir pas assez aligné ou pas assez en forme, ou trop exigeant, par rapport à des personnes qui m’inspirent, peu m’amener à développer des habitudes saines, favorisant un futur « positif » (évalué comme tel !).
Évaluer des compétences d’une personne pour adapter un enseignement ou un contexte de travail contribue à préserver, voire amplifier, la motivation.
Imaginer un cuisinier que n’évaluerait pas régulièrement la qualité des aliments ou la quantité de sel. Ce processus fait partie de nos responsabilités, envers nous-mêmes et envers les autres.
Dans nos relations aussi, reconnaître que je parle trop, trop fort ou que je ne prends pas assez soin de vraiment comprendre ce que l’autre dit est profitable à la dynamique.
Savoir détecter que je suis trop fier pour abandonner en condition avalancheuse ou pas au niveau technique pour passer un couloir raide peut me sauver la vie et être source d’apprentissage.
« Trop et pas assez » c’est utile, dans presque tous les domaines, à condition de comparer à des critères pertinents dans un contexte donné et de réactualiser régulièrement le tout de façon explicite.
« Trop et pas assez » c’est utile, si je sais garder une distance et ne pas m’y identifier lorsque cela touche à ce qui me caractérise.
Trop et pas assez destructeur
Mal utilisée, l’évaluation peut être gravement dégénérative et destructrice.
La discrimination, la manipulation, l’injustice utilisent, ou sont des conséquences, d’une comparaison infondée, frauduleuse ou mal construite.
Tout cela a des effets à très long terme qui affectent les dynamiques individuelles, collectives et peut conduire à la violence[3].
J’ai des souvenirs encore très présents de moments d’humiliation qui se sont transformés, imprimés en moi comme la marque d’un « pas assez » et qui sont encore présents. Un moment de ce genre peut affecter une vie entière. Imaginez lorsqu’ils s’en produit plusieurs chaque jour.
Combien de vies gâchées par ces photos de mannequins retouchées dans les magazines ? Combien de talents détruits par les jugements répétés de proches ? Combien de personnes en détresse parce qu’elles ont fini par croire qu’elles sont trop ceci et pas assez cela ?
Être dans l’instant présent
Pour certains, être dans le moment présent, sans jugement, est devenu une injonction. Et BIM ! Le piège.
Au fil des années, j’ai fini par reconnaître mes perfections et mes imperfections, distinguer un peu plus nettement lorsqu’elles sont une force et une faiblesse. J’ai aussi appris à m’en détacher et je suis témoin de changements radicaux chez des proches qui ont finalement appris à s’aimer et se respecter tels qu’ils sont. Nul besoin de renoncer à qui l’on aimerait être pour cela.
Ces moments, dans la méditation, ne sont pas figés, ils sont dynamiques. Ils vont et viennent, plus ou moins facilement et naturellement selon les jours.
Parmi les pratiques qui m’accompagnent dans mon cheminement, il y a :
la méditation
l’écriture libre
la cohérence cardiaque (et la respiration par le nez en général)
le dialogue
et cette phrase qui encourage à la légèreté :
« Quand on se compare, on se console ! »
Pour résumer :
Trop et pas assez, l’évaluation, la comparaison est omniprésente, une norme devenue invisible.
La méditation aide à observer l’évaluation en action.
L’évaluation est utile lorsqu’utilisée de façon appropriée et dynamique.
Elle peut être violente et destructrice dans le cas contraire.
Nous ne sommes pas nos évaluations et il est possible d’apprendre à s’en libérer.
Quelles sont les conséquences (positives et négatives) de l’évaluation sur votre vie actuelle ?
Comment percevez-vous cette dynamique devenue invisible dans notre quotidien ?
Sir Ken Robinson — RSA ANIMATE: Changing Education Paradigms — https://www.youtube.com/watch?v=zDZFcDGpL4U ↩︎
Attribution de cette citation : https://quoteinvestigator.com/2013/04/06/fish-climb/ ↩︎
Je ne parle pas ici spécifiquement de la Violence verbale évoquée dans la série sur l’autocensure, mais je le vois connecté. ↩︎