Non-dit assourdissant
Le non-dit comme mécanisme de défense germe dans la peur, un manque de confiance ou la pudeur. Il persiste par des fuites de l’assertivité, l’autonomie, l’écoute ou l’empathie. La sécurité permet la vulnérabilité qui libère la parole.
Cette semaine, je continue l’exploration des dynamiques d’autocensure en plongeant dans la dimension du non-dit.
Même si chaque article est indépendant, je vous invite à lire les 2 premiers :
Victime d’autocensure et Violence verbale.
Dans « Victime d’autocensure », j’ai proposé 4 dimensions en dynamiques, combinaisons du fait de me censure, ou de ne pas le faire, dans les cas où cela est pertinent et ceux où ça ne l’est pas.
J’ai nommé ces quatre zones :
👊 violence : pas d’autocensure, mais ce n’est pas pertinent ;
🤫 non-dit : autocensure, mais ce n’est pas pertinent ;
🤝 parler-vrai : pas d’autocensure, et c’est pertinent ;
👁 discernement : autocensure, et c’est pertinent.
De mon exploration initiale émerge l’approfondissement de chacune de ces dynamiques.
Cette semaine, la dimension du non-dit assourdissant c’est le moment où je me censure alors que je ne devrais pas.
Se regarder voir permet de découvrir la navigation dans cet espace aux frontières mouvantes et floues de la perception à la pensée puis la parole.
Comme écrit la semaine passée :
Étant plutôt prudent, je me vois souvent me censurer là où ça n’est peut-être pas nécessaire. Je vais naturellement dans la zone du « non-dit ».
Avez-vous commencé à distinguer les dimensions que vous occupez selon les contextes ?
Le non-dit assourdissant, la parole autocensurée
Je parle ici des moments où je me tais en censurant l’idée ou la pensée présente alors qu’il serait bon de l’exprimer.
Le non-dit est difficile à détecter pour moi. Il me demande d’aller chercher en profondeur la véritable intention qui conduit à me taire.
En effet, je me dupe et me convaincs facilement que c’est un acte de discernement¹, que c’est pour le bien de l’autre ou que ce n’est pas le bon moment, le bon contexte.
Le non-dit est pour moi, avant tout, un mécanisme de défense.
Mais qu’est-ce que je protège ?
C’est bien là la question qui rend riche le regard que j’y porte.
Je protège l’image que je me fais de :
La relation.
Moi.
L’autre.
Cette protection germe dans la peur, un manque de confiance ou la pudeur.
Elle persiste du fait de capacités insuffisamment stabilisées comme l’assertivité, l’autonomie, l’écoute ou l’empathie.
Souvent, c’est une anticipation basée sur les données manquantes, erronées.
Pourtant je le sens dans mes tripes et dans mon cœur.
Comme vous, je suis un être sensible qui perçoit bien plus de choses que l’information de mes 5 sens.
Combien de fois détectez-vous que l’autre ne dit pas tout ?
Combien de fois savez-vous que l’autre sait que vous taisez quelque chose ?
Le non-dit dans le collectif
Dans la famille, le non-dit part souvent d’une volonté de préserver : l’autre, la réputation, la relation… et trop souvent soi-même.
Le non-dit grandit, grossit et devient difficile à porter ou à cacher. Il devient le non-dit assourdissant qui provoque la souffrance. De la séparation au suicide, de la maladie aux décennies sans paroles échangées, nous connaissons tous une histoire de famille difficile prenant sa source dans un non-dit. Plus on aime, plus il est difficile de dire.
Quel paradoxe ! À vouloir éviter la souffrance, nous la générons.
Dans les équipes de travail, nous retrouvons souvent la spirale infernale de la confiance absente que génère le non-dit qui génère l’absence de confiance.
À cela viennent s’ajouter les paroles du type :
Les émotions n’ont pas leur place en entreprise.
Ces paroles viennent supprimer tout espace pour exprimer à la fois ce que nous vivons et permettre de dire des choses qui pourraient y toucher. En effet, le non-dit a dans la majorité des situations une dimension émotionnelle.
Mêlez-y les dynamiques de pouvoir, le « second job » déjà évoqué dans Le droit à l’erreur, la vitesse d’exécution demandée et toutes les formes de discriminations. Ah ! J’allais oublier le management par la peur et la stigmatisation du lanceur d’alerte.
Vous obtenez un mélange détonant qui engendre baisse de productivité, démotivation, désengagement, perte de qualité dans le meilleur des cas. Mais cette souffrance peut mener à l’épuisement ou pire. Derrière les termes génériques utilisés dans les médias, ce sont des êtres humains qui souffrent.
À l’échelle de l’entreprise, les non-dits se transforment en bruits de couloir insidieux.
Les raisons qui poussent à contrôler scrupuleusement les heures d’arrivée et de départ des employés tout en maintenant les conditions du non-dit, telles que la méfiance, engendrent un gaspillage gigantesque d’énergie. L’inaction ou pire le renforcement des pratiques malsaines restent un mystère pour moi.
Plus largement encore, dans la société en général, et dans son expression politique en particulier, il devient difficile de distinguer le non-dit de l’intention saine ou encore de la manipulation.
Me rendre compte de cela me fait prendre conscience de la nécessité d’une certaine proximité qui doit être suffisante pour évaluer la réaction de l’autre et animer la volonté d’entretenir le lien.
Dans la société, le spectre est tellement large que ce qui est recevable et respectueux pour une personne ne l’est pas pour son voisin.
Je suis persuadé que cela n’est pas une fatalité, mais que nous n’avons malheureusement pas appris. L’école nous a instruits, mais elle ne nous a pas appris le vivre ensemble et ses compétences associées, les fameuses « soft skills ».
Je crois profondément que cela peut changer et des approches telles que celles proposées par l’école des Amanins permettent de garder espoir.
Le point commun de tous mes anciens élèves c’est qu’ils disent qu’aux Amanins ils ont appris que, quand il y a un problème dans une relation, il faut s’en occuper et que ça ne sert à rien de botter en touche, il faut y remédier sinon on perd le lien. C’est un des plus beaux résultats, en tant qu’institutrice, que j’ai pu recevoir : ils ont retenu cela, j’ai atteint mon objectif !
Isabelle Peloux — Fondatrice de l’école du Colibri aux Amanins
Cette école est un exemple parmi beaucoup d’autres existants et naissants. Ce que ces enfants apprennent permet de créer un cercle vertueux, une dynamique générative pour le futur, qui participe :
Au renforcement du lien au lieu de la détérioration de la relation.
À l’établissement de la confiance au lieu de la méfiance et de la défiance.
À la parole libre et audible en replacement de la loi du silence.
À l’accueil de la diversité pour éliminer le conformisme, le communautarisme… et autres -ismes.
Les conditions pour parler
Dans mon cas, j’ai besoin de temps, de calme, de confiance, de courage. J’ai besoin que le sujet me tienne à cœur et que je sente qu’il est important pour l’autre.
J’ai aussi besoin de sentir une forme de réciprocité et d’équilibre dans nos capacités respectives. Non pas qu’elles soient les mêmes, mais qu’elles soient en équilibres par leur intensité, leur complémentarité, etc.
Parmi ces capacités, trois m’apparaissent importantes :
L’écoute active et profonde. Pourquoi dire, si de toute façon ce que je dis n’est pas entendu, reçu ou m’est renvoyé ?
L’assertivité, définie ainsi dans Antidote : « capacité à s’exprimer et à défendre ses droits tout en respectant la sensibilité et les droits des autres ».
L’autonomie, ou la capacité de chaque personne à prendre soin d’elle-même, sans entrer dans différentes formes de codépendances.
Il me semble primordial qu’il y ait des mécanismes de sécurité, car la vulnérabilité, tellement nécessaire à l’établissement d’une relation profonde, sincère, humaine, demande un environnement dans lequel je me sens suffisamment en sécurité pour faire les premiers pas. Ensuite, si l’environnement ne génère pas de secousses destructrices, la spirale positive se met en route.
Est-ce que je demande trop de conditions ?
Peut-être. Je m’entraine depuis plusieurs années à m’engager de façon inconditionnelle et je constate qu’il me reste du chemin à parcourir.
Pour résumer
J’entre dans le non-dit dès le moment où je me censure alors que je ne devrais pas.
Il est souvent un mécanisme de défense qui se nourrit de nos peurs.
Le non-dit peut-être transgénérationnel.
Ses impacts dans nos familles, nos équipes, nos entreprises et la société sont grands et rarement considérés à leur juste valeur.
L’écoute, l’assertivité, l’autonomie sont fondamentales pour soutenir la réciprocité.
La sécurité permet la vulnérabilité qui libère la parole.
À quand remonte votre dernier regret né d’un non-dit ?
Je reviendrais en détail sur le discernement dans un article spécifique.