Face aux évidences que je ne sais pas résoudre
Comment déconstruire ce à quoi nous sommes parvenus, tout en construisant une nouvelle forme respectueuse à une plus grande échelle, avec plus de critères pris en compte ?Quels conforts et privilèges suis-je prêt à rendre ou abandonner ?
Au cours des derniers jours, j’ai lu « Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance » de Timothée Parrique. Je n’aurais (peut-être) pas dû !
J’ai trouvé le livre excellent et je le recommande chaudement si vous êtes curieux d’un regard différent du courant dominant sur l’économie, l’écologie, la politique, l’humanité, notre futur.
Que l’on adhère, ou pas, aux éléments avancés dans cet ouvrage, ce qui m’intéresse ici n’est pas d’en faire un résumé, mais d’explorer ce que génère Se Regarder Voir à la lecture d’un tel livre.
Le constat
Je vois tout mon corps, cette « machine à histoire », qui ne s’arrête plus.
Je repasse sans cesse ce que je fais, ce que je ne fais pas et ce que je devrais faire. Je vois en continu des croyances confirmées et infirmées, des résonances et des anomalies.
Tantôt, le courant de pensée penche vers le constat factuel, rationnel, simple. Tantôt, il est jugeant, émotionnel, physique et insoluble.
Premier constat : je suis un privilégié.
Privilège : Droit exclusif ou exceptionnel accordé à un individu ou à une collectivité de faire quelque chose, de jouir d’un avantage.
(Antidote 11)
Je le sais et le reconnais depuis très longtemps.
C’est très très largement confirmé lorsque l’on prend la lentille présentée dans ce livre. Lentille étayée d’une thèse de doctorat et de très nombreuses recherches et publications académiques avec revues de paires.
Je veux dire par là que ça n’est pas une opinion de comptoir à la sortie d’une soirée arrosée. C’est documenté, étayé et réfléchi.
Que l’on soit d’accord ou pas n’enlève rien au travail réalisé. Je m’observe y accorder de la valeur et de la légitimité.
Deuxième constat : il ne suffit plus de savoir, il faut agir.
Je n’ai pas le pouvoir de changer le système politico-économico-environnementalo-social mondial.
Cependant, je peux agir à mon échelle personnelle, familiale et probablement locale.
Revient alors en surface ma croyance que plus les personnes ont de pouvoir, plus elles ont la responsabilité d’agir de manière informée et pour le bien commun.
Ma situation privilégiée me donne une certaine forme de pouvoir. Quelles sont mes responsabilités ?
Troisième constat : mon action est insignifiante et insuffisante.
Ce que je fais déjà est louable, mais totalement insignifiant et insuffisant face à ce qui apparaît nécessaire.
J’habite en appartement, j’ai fait le choix de fournisseurs d’énergie vraiment vert, j’ai réduit la température, ma consommation de viande, la taille de la voiture. Je travaille dans une coopérative multidisciplinaire à but non lucratif neonomia, je voyage moins, etc.
Aucune de ces actions n’est objectivement suffisante. Me comparer à d’autres ne suffit pas.
Je dis souvent : « quand on se compare, on se console. », mais là, l’excuse n’est pas à la hauteur des enjeux.
Quatrième constat : je n’ai pas fondamentalement changé d’état d’esprit.
Je continue d’opérer selon les principes et les valeurs dans lesquels je suis immergé depuis 48 ans.
D’un côté, le fait d’être immergé rend plus difficiles la prise de conscience et la distinction de ce qui est de l’ordre de la convention, construction sociale, de ce qui est d’une forme de nature ou de vérité élémentaire.
Je suis toujours attaché à des objets, je me trouve facilement des excuses, je rationalise certains comportements en occultant des aspects importants.
Je m’arrange avec ma conscience, je contourne mes peurs, je préfère la simplicité à l’inconfort et au courage.
Cinquième constat : mon travail ne règle pas le problème, il l’amplifie.
Même si mon intention est de travailler sur les dynamiques humaines, beaucoup d’organisation utilise l’agilité pour augmenter la productivité, sans forcément questionner ce qui est produit.
Certes, j’espère améliorer la condition des personnes, mais ça n’affecte en rien le contenu de ce qui est créé, et donc les impacts globaux.
L’autre aspect important de mon activité, le coaching professionnel semble aussi contribuer à maintenir les dynamiques dominantes en place.
« Si l’on se place à un niveau collectif, le coaching individuel en entreprise exerce une fonction palliative, c’est-à-dire qu’il traite les symptômes et non les causes. C’est une forme de soutien à court terme et à l’échelle de l’individu, mais, par exemple, l’organisation du travail n’est pas discutée en coaching individuel. La focale est uniquement mise sur les capacités personnelles à s’adapter voire sur la personnalité du coaché.
La fonction palliative du coaching c’est ce qui va amener l’organisation à se défausser d’une réflexion et d’une discussion collectives sur ses modes de fonctionnement. »
(podcast Zéro Virgule #22 Scarlett Salman : La fonction palliative du coaching)
Et maintenant ?
Je vois ce qui serait nécessaire, mais je ne sais pas comment conjuguer les actions à mener et me respecter ainsi que ma famille.
Comment déconstruire ce à quoi nous sommes parvenus, tout en construisant une nouvelle forme respectueuse à une plus grande échelle, avec plus de critères pris en compte ?
Quels conforts et privilèges suis-je prêt à rendre ou abandonner ?
Depuis 10 ans, j’essaie la version soft, mais je vois bien que ça ne fonctionne pas, je continue à abuser. Nous, en famille, continuons à abuser.
Je me vois un peu comme un fumeur qui chercherait à arrêter en se disant : « si chaque année, je fume une clope de moins par jour, un moment ou un autre, j’arriverais bien à arrêter complètement ! … avant d’avoir un cancer ! »
L’excuse des politiques qui ne font rien mène à l’impuissance acquise.
Quoiqu’il en soit, je crois que je suis dedans. Mais comment sort-on de là ?
Le contenu du livre rend explicite l’idéologie qui influence le choix des outils, des sources et de l’interprétation des chiffres. Mais les chiffres sont là et beaucoup ne viennent pas de milieux bercés de cette idéologie.
Je me vois douter des chiffres, des méthodes, de l’incertitude sur les modèles. La simplification ou la non-inclusion de facteur peut avoir des impacts importants comme dans le cas de l’influence de la fonte des glaces sur les modèles de circulation océanique :
The most recent assessment of the UN’s Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) reported “medium confidence” of this occurring later this century. But it said models were not able to quantify the impact of glacial meltwater on how fast or how far this trend might go. Rahmstorf says this failure, which arose because ice dynamics have been poorly understood and not integrated into models of climate change and ocean circulation, is “a long-standing and major shortcoming” of models presented in major IPCC reports.
(https://e360.yale.edu/features/climate-change-ocean-circulation-collapse-antarctica)
Et maintenant, la question à répondre est : qu’est-ce qui est juste nécessaire et juste suffisant pour être pleinement heureux ?
C’est peut-être l’heure pour moi d’appliquer la Constellation de mon ami Thomas pour me guider vers mon rêve et me mettre en action en intégrant l’être et l’avoir.
Pour résumer
Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance de Timothée Parrique m’a permis de situer mon action face au défi de notre soutenabilité.
Seul je ne changerai pas le monde, mais comme beaucoup d’autres je peux faire ma part, j’ai beaucoup de marge de manœuvre.
Il y a beaucoup de questions à répondre, mais celle que devient essentiel est : « de quoi ai-je matériellement besoin, le juste nécessaire et suffisant, pour me sentir heureux ?
Comme le dit le titre Thomas d’Ansembourg
Être heureux ce n’est pas nécessairement confortable
Et vous, comment vous observez-vous naviguer les sujets qui vous touchent profondément ?