Parler-vrai libérateur
Parler-vrai réfère ici au fait de ne pas me censurer et que c’est pertinent de me comporter ainsi. C’est s’exprimer au JE, partager son expérience, prendre la responsabilité de sa parole, tant dans la forme que dans son contenu. Parler-vrai nous
Je ne me censure pas et c’est pertinent.
À force d’explorer ce thème, je suis abasourdi par les nuances qui se présentent à moi et la tentation de rajouter des dimensions, de les renommer et de les reconfigurer.
C’est le 4e et avant-dernier texte d’une série qui a émergé lorsque j’ai commencé à explorer la manière dont l’autocensure s’insinuait dans ma vie et les différentes formes et effets de celle-ci.
Dans « Victime d’autocensure », j’ai proposé 4 dimensions en dynamiques, combinaisons du fait de me censurer, ou de ne pas le faire, dans les cas où cela est pertinent et ceux où ça ne l’est pas. J’ai nommé ces quatre zones :
👊 violence : pas d’autocensure, mais ce n’est pas pertinent ;
🤫 non-dit : autocensure, mais ce n’est pas pertinent ;
🤝 parler-vrai : pas d’autocensure, et c’est pertinent ;
👁 discernement : autocensure, et c’est pertinent.
Même si chaque article est indépendant, je vous invite à lire les 3 premiers : Victime d’autocensure, Violence verbale et Non-dit assourdissant.
Cette semaine, j’aborde le « parler-vrai libérateur » et, force est de constater, que cet article me confronte à l’idée que je m’en fais et à mon propre cheminement pour parvenir à m’exprimer sans autocensure.
Ce qui semble si naturel pour certaines personnes réclame souvent de ma part un effort et une vigilance constante. J’en vois la valeur, je connais les techniques. Derrière l’autocensure se cachent bien des apprentissages lointains et des démons personnels que l’écriture me permet d’apprivoiser. D’exorciser peut-être.
Quelle est votre relation au parler-vrai ? Quel sens cela a-t-il pour vous ?
Quelle place occupe cet espace dans votre propre dynamique d’autocensure ?
Le parler-vrai libérateur
Il y a des choses qui ont besoin d’être dites, même si elles font partie de cette catégorie des paroles pas faciles à entendre.
Le parler-vrai réfère dans ce texte au fait de ne pas me censurer et à l’idée que c’est pertinent de me comporter ainsi.
Comment alors puis-je différencier la violence du parler-vrai lorsque l’ingrédient qui les distingue est la pertinence ou son absence ? Quoi de plus personnel, nuancé, subjectif ?
Il m’apparaît évident que mon intention joue un rôle prépondérant dans cette distinction. Mais pas seulement.
Cependant, même avec une intention bienveillante de la parole émise, si la personne qui reçoit mes paroles n’est pas disposée à les recevoir, ces mêmes paroles peuvent devenir inopportunes.
Je réalise qu’il m’appartient de prendre la responsabilité d’un nombre important d’éléments pour un parler-vrai percutant ET bienveillant : la qualité de la relation, l’état d’esprit de la personne, la temporalité et plus globalement le contexte.
Je m’aperçois aussi occasionnellement que ce n’est pas tant ma capacité à dire les choses qui va déclencher l’autocensure, c’est bien plus ma capacité à évaluer ce qui est pertinent ou ne l’est pas.
Par exemple, une même parole non censurée prononcée de manière impromptue dans un meeting stressant ou lors d’un tête-à-tête convenu conjointement peut faire la différence entre violence et parler-vrai.
Pourtant, je crois qu’on ne peut pas nier la force du parler-vrai sur la prise de conscience. Recevoir la vérité de l’autre sans censure est souvent très riche d’enseignement sur moi, sur notre relation, sur l’autre personne et sur la réalité que je me crée de la situation.
Faire preuve d’assertivité¹, parler vrai, sans censure, peut faire la différence entre un projet raté et un succès, entre une relation superficielle et un lien profond, entre un accident grave et le risque anticipé.
J’ai longtemps cru que le parler-vrai était violent, car je réagissais à l’intensité, à la puissance de l’effet généré. Je ne voyais pas les constructions en jeu.
Finalement, la distinction entre violence et parler-vrai tient dans la capacité à saisir que je construis ma pensée, puis à apporter à cette dernière le soin nécessaire tant dans la réception des messages que dans leur diffusion. Observer la construction de cette réalité devient libérateur. Le terreau du parler-vrai libérateur.
Parler au JE dans le NOUS
Le parler-vrai s’exprime au JE dans le NOUS.
Que serait le parler-vrai sans collectif, sans témoins de mon regard sur le monde ? Sans témoins de mon écoute et de mon acte de parole ?
Selon moi, dans le collectif, le parler-vrai est à distinguer de l’acte d’assener ses vérités.
Dans nombre d’ateliers Leadership Collectif Conscient que nous facilitons avec ami Éric Séguier, le parler-vrai est l’une des consignes du cadre de sécurité.
Dans ce contexte, nous précisons qu’il est question de s’exprimer au JE, de contribuer à partir de sa propre expérience, de prendre la responsabilité de sa parole, tant dans la forme que dans son contenu.
C’est cette expression de ma propre expérience, avec curiosité qui permet progressivement de dessiner, de rendre visible et explicite le contexte commun. L’espace ainsi créé devient un NOUS partagé dans lequel mon JE s’exprime. Et j’entends mon ami Éric Decossaux me dire alors que le JE (pronom) s’exprime librement par le jeu (action).
Lorsque je me responsabilise, le propos émis reste l’expression de ma compréhension de la réalité dans l’instant et non LA vérité que je cherche à imposer aux autres.
C’est une proposition de ma vérité dans l’espace commun dans un but d’enrichissement mutuel.
Lorsque je me responsabilise, le propos ainsi reçu n’est plus une agression. Si je le prends mal, c’est une formidable occasion de se regarder voir et se voir regarder. Qu’ai-je distingué ? Qu’ai-je omis ? Quelles forces internes se manifestent dans la création de cette réalité dans laquelle je me sens attaqué ?
L’espace ainsi créé peut alors progressivement devenir un espace de dialogue tel que nous le propose Marie-Ève Marchand dans son livre² « Vivre en dialogue à l’ère du texto », dans lequel elle partage les 6 invitations suivantes :
Accepter d’être en lien.
Écouter jusqu’aux os.
Suspendre nos présuppositions.
Questionner avec une curiosité chaleureuse.
Reconnaître le pouvoir de la parole et celui du silence.
Co-créer un sens nouveau : le plaisir du dialogue.
Parler-vrai pour grandir ensemble, par et avec les autres.
Le parler-vrai libérateur pour sortir des dynamiques de violence verbale et de non-dit assourdissant, pour façonner ensemble à chaque instant les causes d’un demain génératif.
Conditions pour un parler-vrai libérateur
Pour que le parler-vrai puisse se manifester, nous avons déjà évoqué :
L’importance de l’intention.
La construction d’un contexte partagé.
Un cadre de sécurité.
Les 6 invitations au dialogue.
La capacité à évaluer la pertinence.
Par l’exploration du dialogue dans les lignes précédentes, je me sens apaiser et sécuriser par un cadre minimum. Cela m’engage à explorer plus encore et je retourne aux conditions déjà mentionnées la semaine passée :
Confiance.
Courage.
Vulnérabilité.
Capacités d’écoute profonde, d’assertivité, d’autonomie.
Plusieurs de ces éléments sont illustrés, selon moi, dans un épisode du Sprinkler avec Go Pyrates !, par l’approche qu’ils y décrivent.
J’ai trouvé celle-ci inspirante. C’est une forme d’authenticité radicale, à prendre ou à laisser, avec un contrat clair. J’ai apprécié la forme du parler-vrai libérateur de Go Pyrate!.
Le point ici est le contrat clair.
Une évidence pas si évidente, si nous regardons comment fonctionnent beaucoup de nos relations.
Pour finir, je constate que j’aime illustrer les conditions à partir des pièges à éviter, tels que :
L’injonction ou l’absolutisme du parler-vrai. Quand le manque de nuance provoque le déraillement vers la violence.
L’excuse du parler-vrai pour tout se permettre. Quand la violence s’invite sous couvert de « franchise ».
Les phrases toutes faites telles que : « On va se dire les choses ». Quand cette expression cache les non-dits.
Le jugement et la vulgarité. Quand on oublie que respect et politesse font partie du cadre de sécurité.
L’exploration de l’autocensure, c’est en quelque sorte le franchissement du seuil entre le dialogue intérieur et l’expression audible de notre parole ou de nos actes.
Se Regarder voir un thème comme le parler-vrai libérateur est en soi une forme abstraite de pratique du thème lui-même.
J’observe le conseil des petites voix dans ma tête y aller chacune de leurs arguments et finalement s’accueillir mutuellement.
Pour résumer
Le parler-vrai libérateur invite à cultiver sa capacité à saisir la nuance de sa propre expérience et de celle de l’autre.
Le cadre doit être clair, bienveillant et partagé.
Le parler-vrai libérateur est exprimé par chaque personne du NOUS à partir du JE.
Cette dynamique peut créer la résonance qui porte en elle les causes d’un futur génératif.
Quelles sont vos expériences les plus intenses d’un parler-vrai libérateur ?
L’assertivité, définie ainsi dans Antidote : « capacité à s’exprimer et à défendre ses droits tout en respectant la sensibilité et les droits des autres ».
« Vivre en dialogue à l’ère du texto » par Marie-Ève Marchand (Éditions Herrmann, 2019)