Penser en morceaux
Le fragment peut être arme de manipulation massive et graine des plus grandes découvertes lorsqu’il révèle la partie intègre d’un tout plus grand. Penser en morceaux volatilise le sens et engendre sa création. Qu’apporte la distinction entre f
Une conversation, il y a quelques semaines, m’a invité à distinguer un fragment de la partie d’un tout.
Nous explorions plus spécifiquement l’idée de confondre le fragment avec la partie d’un tout et les conséquences de cette confusion sur notre manière de considérer une situation et les choix et les actions qui en découlent.
J’ai choisi de prendre un peu de temps pour voir ce qui s’y cache pour moi, car :
Cette distinction remonte régulièrement à ma mémoire et se manifeste à ma conscience dans différents moments de la vie quotidienne.
Cette idée résonne avec le passage Vivre en paradoxes de ma chronique hebdomadaire précédente.
Lorsque j’écoute la radio ou que je lis un post LinkedIn, j’ai souvent l’impression de recevoir des fragments déguisés en partie, pas la partie intègre d’un tout, et cela peut me conduire à la curiosité tout autant qu’à la colère ou au désintérêt.
Cela provoque pour moi la sensation d’être manipulé autant que celle d’être un génie lorsque des morceaux s’emboîtent soudainement.
Ce phénomène se produit aussi dans des situations professionnelles, ce qui affecte, je crois, les choix et les actions qui en découlent.
Penser en morceaux peut servir à y voir plus clair autant qu’à créer la confusion.
Je m’observe dans ce paradoxe.
Le Fragment, la Partie et le Tout
Je devrais plutôt parler de la distinction entre fragment et holon (pour pointer à la Partie et au Tout). C’est de cela qu’il était question dans la conversation.
Un holon est à la fois un ensemble lui-même et est en même temps inclus dans un autre holon dont il est un constituant. Il est donc une part de quelque chose plus grand que lui-même. (Source : Wikiépdia.)
Le holon porte une forme d’intégrité.
Le fragment pointait dans la conversation, à un morceau isolé à partir duquel il n’était plus possible de distinguer un phénomène et de saisir une quelconque cohérence. Le morceau n’apparaissait plus dans son intégrité.
Le mot fragment, issu du [latin] (https://fr.wikipedia.org/wiki/Latin « Latin ») fragmentum (même sens), lui-même dérivé de frangere (« briser »), désigne originellement un morceau de quelque chose qui a été brisé, séparé de son tout. (Source : Wikipédia.)
Autrement dit, si j’extrais un fragment d’un holon, je brise ce holon et potentiellement le tout dont il représente une partie. Un fragment n’a plus de sens en tant que partie. Penser en morceaux volatilise le sens.
C’est exactement l’impression que j’ai en écrivant ces lignes par rapport à la conversation elle-même. Je me rends compte que mon intention de rendre explicite mon expérience pour en saisir les contours en rend le fragment à la fois utile (je clarifie une définition) et à la fois incohérent, car je ne peux reproduire le sens nuancé de l’échange initial qui était une séquence cohérente dans un thème plus large encore.
Comment alors, puis-je distinguer un fragment d’une partie (holon) ?
Quelles sont les conséquences de son utilisation, qu’elles soient volontaires ou non ?
Présence et absence
Lorsqu’il est question d’un objet physique, discerner le fragment d’une partie est assez simple. C’est visible.
Dans le cas d’un vitrail, la partie correspond parfaitement, comme la pièce d’un puzzle, le fragment ne trouve pas sa place, il crée un vide. Pourtant, ça pourrait être le même morceau. Ce qui implique que le contexte est important.
Lorsque l’on parle d’objets intangibles, comme un concept, une théorie ou une pensée, ce n’est plus tout à fait la même situation, le contexte est lui-même intangible.
Pour moi, il est dans ce cas plus facile de détecter une absence. Comme le fragment de vitrail qui n’a pas sa place, qui laisse un trou, un vide.
Cette absence se manifeste souvent sous la forme d’une incohérence. Je ne comprends plus l’utilité, la pertinence ou le sens de ce qui advient.
Je sens le doute s’installer, la confiance qui s’amenuise. Mon esprit « se contracte », j’ai de la difficulté à rester ouvert à ce qui se manifeste.
Physiquement, je peux percevoir que je me tais et me retire ou au contraire que je coupe la parole et commence à argumenter.
Je détecte parfois l’apparition d’une boule à l’estomac ou mon corps qui s’agite, tantôt comme une peur, tantôt comme une impatience.
Le fragment d’idée, de concept ou de théorie crée, à la différence de la partie, un vide. Il y a une anomalie dans mon expérience.
Prendre le temps de la réflexivité sur ce thème me permet d’identifier pourquoi je réagis tant à l’information parcellaire des médias. Trop souvent, selon moi, ils ne donnent qu’un fragment, il manque un grand nombre d’éléments qui constitueraient un tout complet.
La principale conséquence que je vis, et elle m’irrite au plus haut point, est l’impression d’être manipulé. J’associe cette conséquence à l’utilisation volontaire qui est faite des fragments pour créer un narratif particulier à viser d’influence. C’est la fameuse expression « prise hors contexte », les « éléments de langage » ou la langue de bois dans le monde politique, le « greenwashing » du monde économique ou le bashing des réseaux sociaux !
Il devient tentant pour moi de sombrer dans le négatif. Pourtant, tout autant le fragment que l’absence qui le révèle peuvent être la source de puissants courants positifs et transformateurs.
Le fragment étincelle
Avez-vous déjà vécu ces moments où un fragment apparaît ? Il est évident que ce morceau seul est comme des centaines d’autres, inutile en lui-même.
Cependant, soudainement, tous ces fragments isolés, déjà apparus ou provoqués par cette nouvelle émergence, se connectent pour former un tout, partie intègre d’un tableau plus grand ?
Enfant, j’étais fasciné par l’archéologie sous-marine, et c’est la première image qui remonte pour illustrer ce phénomène. La découverte d’une pièce que permet de reconstituer un tout. Seule elle ne permet rien, mais sa présence révèle des connexions jusque là impossibles, et la probabilité de la présence d’autres pièces d’intérêt.
Est-ce le phénomène qui s’est produit lors des grandes découvertes scientifiques ?
L’intuition ou les moments « Eurêka » sont-ils ces moments soudains durant lesquels, des fragments accumulés se réunissent pour former une partie intégrée qui devient un tout autonome.
La méditation est une des pratiques qui me permet de saisir la présence. L’« insight », l’étincelle, vite oubliée, mais apparue, vécue.
Ma méditation est comme une fabrique à morceaux de mosaïque, des centaines de pensées volatiles qui se manifestent et sont libérées dans le flow du devenir. Libérées, mais pas perdues. Utilisée plus tard pour constituer la mosaïque. Penser en morceaux engendre la découverte.
Un jour, au détour d’une activité, d’une conversation, d’un projet, un nouveau morceau émerge qui vient connecter des souvenirs, des sensations.
Cette théorie que je ne comprenais pas devient évidente.
Tout était là, caché en pleine lumière.
Les fragments se connectent et deviennent la partie d’un tout.
Pour résumer
Discerner un fragment isolé de la partie intègre d’un tout cohérent est important dans l’expression de valeurs comme l’intégrité, l’éthique ou l’esthétique.
Le fragment peut être détecté par le vide qu’il crée autant que l’étincelle qu’il provoque.
L’utilisation de fragments d’information est une pratique fondamentale de la manipulation.
Lorsque des fragments se connectent, ils peuvent générer de toutes nouvelles théories, faire émerger un sens nouveau de l’expérience vécue.
Quand vous regardez le monde avec cette distinction, quelle est votre expérience ? Que signifie pour vous « penser en morceaux » ?