Perceptions, perspectives et réalisme naïf
Élargir vos perspectives, affiner vos perceptions et développer une empathie authentique pour sortir du réalisme naïf et développer des capacités génératives au quotidien.
Vous l’avez remarqué, je m’intéresse beaucoup à la pensée, à la conscience, aux systèmes humains et à beaucoup d’autres thèmes.
Plongé dans la lecture passionnante de l’article « Apithological systems theory: learnings from ecology » de William Varey [¹] , je me suis observé être interpelé par le concept de « naive realism » ou réalisme naïf [²].
J’ai voulu en savoir plus et explorer la manière dont cela se manifeste dans ma vie quotidienne.
C’est cela que je partage aujourd’hui, en espérant mettre en lumière l’importance de reconnaître et de surmonter les conséquences du réalisme naïf dans l’espoir de contribuer à une humanité florissante.
Le réalisme naïf, c’est quoi exactement ?
Le réalisme naïf est également connu sous le nom de réalisme direct.
C’est un concept philosophique qui se réfère à la croyance que notre perception du monde correspond directement à la réalité.
En d’autres termes, nous supposons que nos sens nous fournissent une représentation précise et complète du monde extérieur.
Cependant, ce point de vue peut être erroné, car il néglige la nature subjective de nos expériences et l’influence des biais personnels, des attentes et des contextes culturels sur nos perceptions.
En allant un peu plus loin dans ma lecture, j’ai réalisé que la notion de réalisme naïf s’applique dans divers domaines, notamment la psychologie, la philosophie et les sciences sociales. Tout ce qui m’intéresse depuis plus de 10 ans et plus spécifiquement actuellement.
En psychologie, il met en évidence les biais et les erreurs qui peuvent survenir dans notre perception et notre interprétation des événements.
En philosophie, il soulève des questions sur la nature de la réalité et la manière dont nous en prenons conscience.
En sciences sociales, il souligne l’importance de comprendre les diverses perspectives et le rôle du contexte dans la formation de nos expériences.
Si vous avez lu mes précédents articles [³], vous comprenez pourquoi expliciter un tel phénomène m’intéresse.
J’ai étrangement ressenti une forme de clarté dans cette exploration. J’ai l’impression que ce concept est crucial pour moi.
S’il est partagé, je crois qu’il peut nous amener à réévaluer nos hypothèses et à devenir des individus plus empathiques et ouverts d’esprit.
Il semble que ça devient une sorte d’anomalie à nommer comme évoqué dans « Dissonance cognitive et sentiment d’impuissance » la semaine passée.
Le réalisme naïf dans la vie quotidienne
En réfléchissant à mes propres expériences, je réalise à quel point le réalisme naïf s’est manifesté et se manifeste sans cesse dans divers aspects de ma vie, presque toujours de manière subtile et inattendue.
Dans le cadre de mes relations personnelles ou professionnelles, je tombe encore souvent dans le piège de supposer que mon interlocuteur partage mes croyances, valeurs et perspectives.
Combien de fois avez-vous vu une proposition que quelqu’un pensait simple, évidente et attrayante tournée en malentendus et confusions simplement, car ses collègues avaient des interprétations et des opinions différentes ?
Je réalise aujourd’hui que c’est souvent la source des malentendus ou des conflits, même si je les détecte plus vite en étant, à force d’entraînement, plus conscient de mon expérience notamment corporelle et émotionnelle.
Ce constat renforce ma conviction de continuer à mener nos ateliers sur la prise de perspectives avec mon ami et collègue Éric.
Je prends encore une fois conscience de l’importance cruciale de cultiver une posture d’ouverture et de vulnérabilité (voir : Devrions-nous simplement reconnaître que nous avons peur ?).
Je sens que pouvoir maintenant nommer l’influence du réalisme naïf peut m’aider à continuer de développer une plus grande empathie et compréhension de moi-même et des humains qui m’entourent.
Par exemple, cela me permet de donner un sens nouveau à une expérience culturelle vécue début avril, à mon arrivée à l’aéroport de Montréal :
Une personne est passée devant la file des voyageurs attendant le bus pour se poster devant le panneau d’arrêt (et donc la porte).
Ma voisine exprimant son agacement, je lui ai partagé qu’en France et d’autres pays c’était un comportement commun. J’ai aussi partagé mon étonnement de la civilité et du respect lors de ma première expérience à Montréal, il y a une quinzaine d’années.
À l’époque, j’ai fait un effort conscient pour en apprendre davantage sur la culture locale et en embrasser les aspects uniques.
Le réalisme naïf impacte le monde professionnel
Dans le contexte professionnel, le réalisme naïf peut être défini comme la supposition que sa propre perspective, ses croyances et ses expériences sont universellement partagées parmi les collègues. Cette supposition peut entraîner des malentendus, des conflits et un manque de compréhension ou d’empathie sur le lieu de travail, voire de la toxicité.
Je me demande à quel point c’est un facteur de ce qui est communément nommé résistance au changement.
Ce phénomène peut apparaître dans la gestion de projet lorsque les membres de l’équipe supposent que tout le monde partage leur compréhension des objectifs, des délais et des priorités. Cela entraîne des attentes décalées et une collaboration inefficace.
On peut imaginer que les approches agiles ou participatives permettent de surmonter ce défi, de communiquer ouvertement, de clarifier les attentes et de favoriser une culture d’écoute et de compréhension au sein de l’équipe.
Mais l’introduction de ces approches est elle-même souvent empreinte des effets associés à ce concept. J’y associe notamment un certain dogmatisme connu dans l’agilité.
Dans le processus de prise de décision, le réalisme naïf peut amener les individus à croire que leur solution préférée est la plus logique et universellement acceptée. Cela peut entraver l’exploration de perspectives alternatives et limiter le potentiel d’innovation.
Il peut également se manifester sous la forme de biais inconscients, conduisant à un manque de diversité et d’inclusion sur le lieu de travail. En supposant que nos propres expériences et perspectives sont universelles, involontairement, nous négligeons ou rejetons les expériences et contributions uniques de collègues issus de milieux divers.
Dans tous les cas, il me semble encore plus important de créer des espaces collectifs pour partager nos expériences et favoriser une culture d’empathie, d’ouverture et de compréhension.
Des espaces pour réfléchir à la qualité de notre pensée. Se Regarder Voir et se voir regarder.
Pratiques utiles
Voici quelques exemples spécifiques de pratiques pour ces espaces de réflexion et qui peuvent nous permettre de limiter les conséquences du réalisme naïf omniprésent dans nos vies :
Pratiquer l’écoute active : accorder toute notre attention à notre interlocuteur, retenir notre jugement et chercher à comprendre son point de vue avant de répondre pour une appréciation plus profonde de ses expériences et croyances, différentes des nôtres.
Prendre des perspectives : consciemment me mettre à la place de l’autre, imaginer son contexte, ses expériences et les raisons pour lesquelles elle défend son point de vue. Cette pratique m’aide à me comprendre et à développer de l’empathie, surtout si je ne suis pas d’accord avec sa position.
Rechercher activement des expériences diverses : remettre en question nos propres hypothèses et élargir nos perspectives. Cela peut inclure la lecture de livres ou d’articles présentant différents points de vue, la participation à des événements culturels ou des ateliers, ou l’engagement dans des conversations avec des individus issus de différents horizons.
Écrire régulièrement dans un journal personnel : prendre conscience de ses processus de pensée et de ses hypothèses, réfléchir à ses expériences quotidiennes, à ses interactions et aux croyances entretenues. En examinant mes propres pensées, je peux identifier les cas où le réalisme naïf a pu influencer mes perceptions et travailler à cultiver une perspective plus équilibrée.
Pratiquer la pleine conscience ou la méditation : personnellement, cela m’aide à devenir plus conscient de mes pensées et émotions, me permettant de détecter plus rapidement mes moments de réalisme naïf. Cela permet de développer la conscience de soi nécessaire pour remettre en question ses hypothèses et aborder les situations avec plus d’empathie, de calme et d’ouverture.
Chaque pratique est différente, et je vous encourage à découvrir les vôtres.
Pour résumer :
Le réalisme naïf est la croyance que notre perception du monde correspond directement à la réalité, négligeant la nature subjective de nos expériences et l’influence des biais personnels et culturels.
Ce concept omniprésent a des implications dans divers domaines, comme la psychologie, la philosophie et les sciences sociales, et peut être à l’origine de malentendus, de conflits et de résistances au changement.
Pour tenter d’éviter son influence, il est important de développer des compétences telles que l’écoute active, la prise de perspectives ou la réflexivité.
Je crois qu’il nécessite une réflexion constante sur sa propre réflexion et sur la qualité de sa pensée afin de devenir une personne plus compatissante.
Cher lecteur, je t’encourage à considérer les façons dont le réalisme naïf influence ta propre vie et tes relations.
Je t’invite à prendre un moment pour réfléchir aux hypothèses que tu as pu faire concernant les perspectives des autres et mets-toi au défi de faire preuve d’empathie et de compassion dans tous les aspects de ta vie.
Ensemble, nous pouvons travailler à construire un monde génératif, compatissant et conscient de soi. Une humanité florissante.
Références
[¹] : Apithological Systems Theory: Learnings from Ecology—Will Varey
https://journals.isss.org/index.php/proceedings56th/article/view/1821
[²] : Réalisme naïf — Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Réalisme_naïf
[³] : Voir notamment les articles suivants :
https://www.se-regarder-voir.com/activiste-de-la-qualite-de-conscience/
https://www.se-regarder-voir.com/virtuoses-en-realites-subjectives/
https://www.se-regarder-voir.com/generations-de-pensees/