Virtuoses en réalités subjectives
Au-delà de la réalité physique, notre expérience relève d’une boucle de rétroaction participation-interprétation. Nous construisons la réalité à laquelle nous répondons. Notre cerveau nous trompe et nous n’y pouvons rien. Es-tu prêt à fai
Vous avez probablement remarqué, si vous avez lu plusieurs articles ou écouté leurs versions audio, que ma réflexion repose sur l’idée que nous créons notre réalité sur la base de nos perceptions et interprétations.
Certes, je pense qu’il existe une réalité physique tangible qui influence significativement divers aspects de notre vie.
Cependant, quand il est question de notre expérience du monde, de notre communication, de nos relations, celle-ci n’est que NOTRE réalité.
Dans certains cas, il nous est même impossible de voir autrement alors que nous savons que la « réalité » est différente[1].
« Se Regarder Voir… et se voir regarder » est la pratique par laquelle j’essaie d’être conscient que chaque instant, histoire, choix, dialogue intérieur, sensation, perception n’est qu’une réalité parmi des milliers d’autres.
Tout cela étant influencé et influençable à chaque instant par les conditions dans lesquelles je suis immergé.
C’est une façon de rester curieux de la manière dont je crée cette réalité, de la manière dont les autres la façonnent et des interactions que cela engendre.
Je n’oublie pas que ce regard n’est qu’une nouvelle interprétation. Ce regard est lui aussi une réalité possible qui émerge à partir de la configuration d’éléments liés à ma mémoire, mon contexte, les théories ou pratiques que je connais, etc.
Confort et inconfort d’une carte du monde dynamique
Comme dans un jeu vidéo, le brouillard se lève sur une partie de ma carte du monde et elle devient dans le même temps dynamique, se reconfigurant elle-même.
Je ne trouve pas toujours confortables les quelques moments ou je réalise vraiment que toute ma vie (identité, croyances, savoir, actions…) est bâtie sur ce qui m’apparaît alors comme des sables mouvants.
Je remarque que je deviens au fil du temps plus sensible à la manière dont je crée le sens à partir de ce que je perçois, essayant de créer plusieurs histoires plausibles, conscient que même ce que je perçois est très souvent déformé.
Le choix n’est pas plus facile, ma compréhension n’est pas plus claire ou meilleure, mais j’ai une sensation intime d’intégrité qui se développe.
Je remarque aussi que je doute beaucoup plus, que je suis beaucoup plus vigilant sur le contenu, le moment, le lieu, les personnes, la forme de ce que je dis.
Là non plus, ça ne rend pas la communication plus facile pour moi. Au lieu de simplement dire ce que je pense, comme j’ai pu le faire plus inconsciemment dans le passé, je passe par un certain nombre de questions pour lesquelles mes réponses restent des constructions (et incertaines) !
Une chose dont je suis conscient plus souvent, c’est de l’irritation, pouvant aller jusqu’à une forme de rage intérieure, lorsque j’entends des propos énoncés comme des vérités pour lesquels l’émetteur ne semble à aucun moment imaginé que ça n’est peut-être que SA réalité. Ces sentiments sont au plus forts lorsque c’est un message public particulièrement influent ou que mes interprétations convergent presque toutes vers l’idée de la manipulation.
Pour être plus juste et appliquer une forme de langage plus rigoureuse et adaptée, je devrais plutôt systématiquement dire :
« Ce que je perçois, dans les circonstances dans lesquelles je le perçois, m’apparaît à cet instant comme de l’irritation, pouvant aller jusqu’à une forme de rage intérieure, que j’associe alors à… »[1].
S’entrainer à se voir regarder
Comme je l’ai mentionné précédemment, Se Regarder Voir et se regarder voir est avant tout une intention, un entrainement. Ce que je détecte aujourd’hui de la manière dont je conçois mon monde est la résultante de ma vie jusqu’à maintenant. Il a des choses qui m’ont été données et d’autres que j’ai provoquées.
On s’entend qu’avec ce que j’ai dit plus juste avant, c’est l’histoire que je me raconte.
Il y a une part de chance.
Celle d’avoir bénéficié de conditions très favorables. Elles m’ont permis d’être en santé, de développer de la curiosité, d’accéder au savoir, de côtoyer des personnes qui ont soutenu et challengé ma vision du monde à chaque instant, etc.
Il y a une part d’intentionnalité.
Cet entrainement ne visait pas toujours la prise de recul, mais y a parfois indirectement contribué.
Lorsque j’ai commencé à travailler, je cherchais à devenir meilleur et fier de mon travail. J’ai alors cherché des mentors, des références pour progresser.
En essayant de comprendre leur manière de faire, de penser, de traiter un sujet, j’étais stimulé à voir, penser et faire différemment.
Mon seul but à l’époque était d’écrire du meilleur code avec une approche plus cohérente pour moi. J’ai appris puis transposé pour regarder d’autres types de situations sous plusieurs angles et constaté que ça pouvait m’être utile.
Dans les 15 dernières années, j’ai eu une démarche intentionnelle plus directe qui a émergé de mon besoin et de mon envie de mieux saisir les dynamiques humaines individuelles et de groupes.
Dans certains articles précédents, je vous ai invité à des exercices réflexifs. Ce genre d’exercice est un des piliers pour moi. J’en ai même fait le titre de cette plateforme « Se Regarder Voir… Et se voir regarder ».
Différentes formes de méditation sont aussi particulièrement importantes pour apprendre à distinguer et prendre une forme de distance par rapport au flot de notre pensée, à notre perception. J’essaie de pratiquer le plus régulièrement possible, même quelques minutes.
Notre perception étant en lien direct avec notre participation dans le monde, les activités somatiques permettant de développer une conscience nuancée de notre corps sont aussi fondamentales. Étant donné que nous bougeons tout le temps, le faire en conscience plus souvent est une façon simple et économe en temps de s’exercer.
Je me suis aussi intéressé de plus près à différentes théories qui tentent chacune de percer les mystères de notre conscience, de notre expérience propre et unique du monde qui nous entoure, de notre communication. Comprendre qu’il existe de multiples théories complémentaires ou opposées permet de se confronter au doute. Me rappeler que même la science, parfois érigée en référence absolue aujourd’hui, a connu des revirements spectaculaires, me permet d’entretenir un doute curieux qui aujourd’hui me semble sain.
La dernière chose qui, je crois, contribue significativement, c’est la curiosité. C’est d’une certaine manière garder notre âme d’enfant avide de comprendre ce qui se passe, comment, pourquoi ?
Comme bien souvent, c’est l’accumulation et la répétition quotidienne que transforme jour après jour, directement et indirectement, consciemment et inconsciemment la manière dont le monde est perçu et interprété et la manière dont j’y réagis.
Il y a à tout cela un côté libérateur et déstabilisateur. Être humain c’est peut-être marcher sur ce fil en tentant de garder notre équilibre.
Quelle est la réalité que chaque personne crée à partir de l’interprétation de cette métaphore ?
Pour résumer
Notre réalité est créée par notre perception et notre interprétation.
Notre cerveau ne peut, dans certains cas, pas s’empêcher de déformer ce qu’il perçoit.
Nos conditions et activités influencent directement et indirectement notre réalité.
Il existe un grand nombre d’activités, d’entrainements qui permettent de se voir regarder.
Aujourd’hui pas de question, mais l’invitation à investir 1 h 30 de votre temps pour regarder l’excellente conférence d’Yves Rossetti : « le cerveau fait son monde : l’illusion de la réalité ».
¹ — Conférence d’Yves Rossetti au musée des Confluences de Lyon lors de la semaine du cerveau en mars 2022 intitulée « Le cerveau fait son monde : l’illusion de la réalité ».